Le pickup d’Ahmed ag Hamzata incendié au sud d’Amassine @Habitant
Depuis la prise de Kidal
par Wagner, qui appuyait des unités de l’armée malienne en novembre dernier,
les civils touaregs vivant dans la région et leur patrimoine ont été la cible
de cette alliance. La capitale régionale, Kidal, s’est vidée de ses habitants
autochtones, notamment les Touaregs, avant l’arrivée des unités de Wagner et de
l’armée malienne. Ceux qui n’ont pas pu fuir ont été la cible d’exactions et
d’arrestations. Les habitants, ayant laissé derrière eux tout ce qu’ils
possédaient — commerces, maisons, entreprises, etc. —, ont vu apparaître sur
les réseaux sociaux leurs biens se faire piller par les migrants et domestiques
subsahariens employés dans les foyers et les travaux de main-d'œuvre dans la
ville.
Plusieurs semaines après
l’occupation de la ville, Wagner et les militaires maliens ont commencé à
patrouiller dans les alentours, d’abord au nord de la ville, puis au sud. Ces
patrouilles ont été précédées par des frappes de drones sur les campements et
villages civils, ce qui a créé plusieurs déplacés. Certains villages éloignés
ont continué à exister dans l’espoir que cette violence ne s’étende pas à leurs
zones.
Tôt à 4h le matin du 19 mai 2024, le village d'Amassine situé à 80 kilomètres au sud de Kidal a été attaqué par des élément de Wagner accompagnés de l'armée malienne. Ils ont encerclé le village, rassemblant tous les habitants au centre. Certains ont tenté de fuir, mais rattrapé et exécuté. Les mercenaires ont rapidement pris le contrôle, tuant certains commerçants dans leurs boutiques. Accusant un homme d'avoir un talkie-walkie, ils l'ont éliminé, ainsi qu'un autre sans aucun lien avec l'accusation.
La tension montait alors que les habitants étaient forcés de se coucher par terre sous le soleil brûlant. La découverte d'un pantalon militaire a aggravé la situation. Les mercenaires ont exigé de trouver le propriétaire, terrorisant les villageois. Un enfant, effrayé, a désigné deux personnes, Ahbate Ag Mediya et son frère Antakan Ag Mediya. La violence a alors éclaté : Ahbate a été violemment frappé et égorgé sous les yeux horrifiés des autres. Un jeune, Ag Almoustapha, a subi le même sort cruel.
Les mercenaires ont menacé les témoins, affirmant que chacun rencontrerait le même destin horrible. Le village a été pillé, ses biens volés ou incendiés. Parmi les notables tués figuraient Ahmed Ag Hamzata, incendié dans sa voiture, et Lamine Ag Bassada, égorgé devant les femmes et les enfants, contraints de regarder l'horreur. Un jeune homme dont la moto et les vêtements ont été retrouvés brûlés reste porté disparu.
Seize personnes ont été tuées ce jour-là, dont Ahbate Ag Badi, Ahmed Ag Rhissa, Antakan Ag Midiya, Innataba Ag Midiya, Illiyasse Ag Mohamed, Badi Ag Rhissa, Ahmed Ag Hamzata, Lamine Ag Bassada, un malade mental, Moussa Ag Alladi, Waddi Ag, Fagni Ag Oubayba et trois jeunes Doussahack. Les mercenaires, parlant tamasheq, arabe et français, étaient accompagnés d'un homme mystérieux, caché sous une couverture, qui décidait qui vivrait et qui mourrait.
Le témoignage d’un habitant d’Amassine :
« Les assaillants sont venus au matin du
bonheur au puits d’Amassine. Ils ont pris d’assaut le village par trois côtés :
l’ouest, le nord et le sud. Vu la route qu’ils avaient prise depuis la ville
d’Anefif, connue seulement des autochtones, ils avaient certainement un guide
local. Quand ils sont arrivés au village, ils ont ouvert le feu sur toute
personne tentant de s’enfuir. Ils ciblaient les habitants comme s’ils étaient
des biches. Ils ont trouvé mon oncle, l’ont pourchassé jusqu’à son véhicule et
ont ouvert le feu sur lui, mais il a réussi à s’échapper. Ils ont arrêté tous
les civils qui n’ont pas réussi à s’échapper et les ont regroupés au même
endroit.
Quand ils ont fini de regrouper tout le monde,
ils ont fait descendre leur indic du blindé. Il était couvert d’une couverture
et portait des lunettes pour ne pas être reconnu. Il pointait du doigt les gens
à abattre. À chaque fois qu’ils voulaient le faire descendre pour identifier
les habitants qui devaient mourir, ils ordonnaient aux civils capturés de se
coucher et de fermer les yeux. Chaque personne qu’il pointait du doigt était
conduite devant les autres. D'abord, le chef Wagner assommait la personne avec
un bâton de baseball, ensuite un militaire malien venait l’égorger en ordonnant
aux autres civils de regarder la scène.
Avant d’égorger les cinq civils, ils leur
posaient trois questions : « Où se trouve Bilal ag Acherif ? Où sont les
partisans de l’Azawad ? Qui possède un talkie-walkie ici ? » Après avoir posé
ces questions, le chef de Wagner donnait un coup de bâton et le militaire
malien venait égorger la personne. Ils ont continué ce massacre jusqu’à environ
11 heures GMT. Ils ont envoyé un groupe vers les campements au sud. Il y avait
deux groupes, chacun parti attaquer un campement. Ils étaient à bord de
véhicules, de blindés, de motos et de quads. Nous étions sur une hauteur un peu
éloignée et nous les avons observés.
Ils ont pris d’assaut le campement de Dawha.
Avant qu’ils arrivent, même les petits enfants étaient partis se cacher dans
les herbes. Il ne restait qu’une vieille dame. Quand ils sont arrivés, leur
indic leur a dit en langue tamasheq : « Ici, c’est le campement de Dawha. » Ils
ont brûlé des abris servant d’ombre et ont creusé un peu partout aux alentours
de la tente. Ils ont tout fouillé. Ils ont pris tout ce qui les intéressait et
ont détruit tout ce qui ne les intéressait pas.
Ceux qui ont attaqué le campement d’Ahmed ag
Hamzata l’ont trouvé lui et Lamine. Ils les ont pris. Ils ont amené Lamine
jusqu’au campement de Badine, l’ont descendu du véhicule et ont regroupé les
femmes. Ils l’ont égorgé devant elles et les ont forcées à regarder la scène.
Après que le vieux Lamine ag Bissada a été tué, ils ont dit aux femmes : «
C’est ça que nous allons faire à tous vos maris et enfants. » Ils ont trouvé le
vieux Badine ag Bada et ont essayé de le tuer, mais toutes les femmes se sont jetées
sur lui pour le protéger, alors ils l’ont laissé.
En ce qui concerne Ahmed, ils l’avaient attaché
à l’arrière de son véhicule et l’ont exécuté avant de retourner rejoindre leurs
camarades à Amassine. J’ai fait le constat et j’ai trouvé 9 douilles de
kalachnikov à côté du véhicule calciné, et Ahmed était dedans. Sa tête était
posée sur le haut du pneu à l’arrière du pickup, proche de la porte arrière. Il
y avait 9 impacts traversant le véhicule. Nous avons conclu qu’ils l’avaient
exécuté avant de le brûler.
Ils ont cassé toutes les boutiques et maisons, et ont emporté tout ce qu’ils voulaient en matériel et marchandises à Amassine. Ils ont détruit tout ce qui restait. Ils ont emporté quatre véhicules civils, de vieilles Toyota à quatre cylindres appartenant aux éleveurs. Ils ont tué en tout 16 personnes et en ont enlevé une autre dont nous n’avons plus de nouvelles ; ils ne l’ont pas tuée sur place. Ils étaient venus d’Anefif et sont repartis là-bas. Durant leurs opérations, ils avaient déployé plusieurs drones TB2 tôt le matin pour couvrir leur opération »
Quelques jours auparavant, le village de Tassik, à 35 km au sud-est de Kidal, a connu le même sort avec les unités de Wagner et des militaires maliens. Neuf civils ont été tués et leurs corps calcinés. Le village a été pillé et le reste incendié.
Le même jour où Amassine a été attaqué, le village d’Intebzaz a également été la cible d’une patrouille conjointe de Wagner et de l’armée malienne. Avant l’arrivée de la patrouille, un véhicule civil a été la cible d’un tir de drone, puis le village a été encerclé. Tous les civils ont été regroupés et interrogés. Après avoir pris ce qu’ils voulaient dans le village, Wagner et les militaires maliens, accompagnés des guides locaux, ont quitté le village.
Depuis août 2023, le Mali, appuyé par Wagner et les drones TB2 turcs, a décidé unilatéralement de reprendre les combats contre les mouvements de l’Azawad. Cette initiative d’escalade a mis en péril les efforts de paix avec le parti Azawadien. La communauté internationale, garante de l’accord d’Alger, est restée silencieuse. À l’instar de la communauté internationale, les organismes de droits de l’homme et les médias n’ont pas joué un rôle important pour rapporter au monde la tragédie en cours dans cette région.
APMA 1 juin 2024